IUF 20 ans
 

Ressources de la lit­té­ra­ture fran­çaise contem­po­raine

Dominique Viart

Université Charles de Gaulle – Lille 3.

La notion de « res­source » convient dou­ble­ment à décrire la lit­té­ra­ture contem­po­raine fran­çaise, id est la pro­duc­tion lit­té­raire telle qu’elle se relance au tour­nant des années 1975-84 et conti­nue de se déployer jusqu’à pré­sent. D’abord parce qu’après une période domi­née par le tex­tua­lisme et l’explo­ra­tion for­melle, qui, sous l’influence de la lin­guis­ti­que et du struc­tu­ra­lisme, a poussé la lit­té­ra­ture à se replier sur elle-même dans une ver­ti­gi­neuse inter­ro­ga­tion de son « medium même » (Clément Greenberg), les années 75-84 voient les écrivains « reve­nir au monde » et se redon­ner des objets exté­rieurs à la sphère lit­té­raire. D’ « intran­si­tive » (Roland Barthes), l’écriture nar­ra­tive rede­vient tran­si­tive : elle se res­sai­sit de l’homme (du sujet), du réel, des ques­tions his­to­ri­ques, poli­ti­ques et socia­les. Mais, ce fai­sant, les écrivains ne retrou­vent pas, pour trai­ter de ces objets, les formes lit­té­rai­res en usage depuis le 19e siècle, les­quel­les ont été for­te­ment contes­tées voire délé­gi­ti­mées par l’ « ère du soup­çon » et les pra­ti­ques de la décons­truc­tion. Aussi inven­tent-ils, afin de se porter à la hau­teur des enjeux qu’ils don­nent désor­mais à leurs textes, des esthé­ti­ques nou­vel­les dont l’examen atten­tif fait décou­vrir ce qu’elles doi­vent à des formes plus ancien­nes, sou­vent oubliées (l’hagio­gra­phie, par exem­ple, véri­ta­ble « res­source » des nou­vel­les « fic­tions bio­gra­phi­ques »), ou encore à un héri­tage gréco-latin, médié­val et renais­sant délaissé par la Modernité. Si l’esthé­ti­que clas­si­que pré­co­ni­sait d‘imiter les Anciens et l’esthé­ti­que Moderne d’en faire « table rase », sans du reste qu’une telle radi­ca­lité soit effec­ti­ve­ment obser­vée (les Modernes sont culti­vés et ne renon­cent pas à pra­ti­quer l’inter­tex­tua­lité, l’emprunt ni la cita­tion), la période contem­po­raine, hos­tile à tout retour à la repré­sen­ta­tion comme aux théo­ries de l’infi­gu­ra­ble, bran­dies par les pen­seurs d’après guerre (d’Adorno à Blanchot et Agamben), cher­che au contraire dans son dia­lo­gue avec l’héri­tage lit­té­raire – clas­si­que et moderne - les pos­si­bles res­sour­ces de nou­vel­les figu­ra­tions du monde.

The resources of contemporary French literature.

The notion of “resource” is doubly appro­priate when it comes to des­cri­bing contem­po­rary French lite­ra­ture, i.e. lite­rary pro­duc­tion as it renews itself in the years 1975-1984 and has been deve­lo­ping ever since. First of all because fol­lo­wing a period domi­na­ted by tex­tua­lism and formal explo­ra­tion, which, under the influence of lin­guis­tics and struc­tu­ra­lism, led lite­ra­ture to turn inwards in a head­long ques­tio­ning of its “very medium” (Clement Greenberg), the years 1975-84 see wri­ters “retur­ning to the world” and giving them­sel­ves anew objects out­side the lite­rary sphere. From “intran­si­ti­ve­ness” (Roland Barthes), nar­ra­tive wri­ting returns to tran­si­ti­ve­ness : it repos­ses­ses man (the sub­ject), rea­lity, his­to­ri­cal, poli­ti­cal and social mat­ters. But, in doing so, the wri­ters do not return, in their treat­ment of these objects, to the lite­rary forms in use since the 19th Century, which were widely ques­tio­ned, even depri­ved of legi­ti­macy, by the “Era of Doubt” and the prac­tice of decons­truc­tion. And so it hap­pens that they invent, in order to be up to the goals they now attri­bute to their texts, new aes­the­tics which, under scru­pu­lous exa­mi­na­tion, reveal what they owe to more ancient forms (hagio­gra­phy, for ins­tance, a true “resource” of the new “bio­gra­phi­cal fic­tions” ), or even to a Greco-Latin, Mediaeval, and Renaissance inhe­ri­tance dis­car­ded by Modernity. Whereas clas­si­cal aes­the­tics recom­men­ded imi­ta­tion of the Ancients, and Modern aes­the­tics to “clear it out”, not­withs­tan­ding that such a radi­cal posi­tion was not actually obeyed, (The Moderns are cultu­red people and do not renounce the prac­tice of inter­tex­tua­lity, bor­ro­wings or quo­ta­tions), the contem­po­rary period, oppo­sed to any return of the repre­sen­ta­tion as well as to the theo­ries of the infi­gu­ra­ble, upheld by post-war thin­kers (From Adorno to Blanchot to Agamben) is in search, through its dialog with its lite­rary inhe­ri­tance, - clas­si­cal and modern- of the pos­si­ble resour­ces of new figu­ra­tions of the world.